“Les abysses”, R. Solomon, Aux Forges de Vulcain

Et si les esclaves africaines enceintes jetées par dessus bord pendant la traite des noirs avaient donné naissance à un peuple de sirènes, à l’abri du monde ? C’est le postulat créé à l’origine par Drexciya, groupe électro des années 90, repris par le groupe de hip hop Clipping dans « The deep », repris à son tour par Rivers Solomon ( « L’incivilité des fantômes ») dans cet étonnant roman qui navigue dans des eaux étranges entre “Les Aventuriers de la Mer” et “Underground Railroad”…
Un roman bref mais dense ! On y suit Yetu, jeune historienne des wajinrus, ces créatures amphibies hermaphrodites et intersexuées. Son rôle est séminal pour son peuple : elle est littéralement la gardienne de leurs souvenirs, de la mémoire collective sur plusieurs générations. C’est un grand honneur mais aussi un fardeau : l’histoire des wajinrus est criblée de souffrances sans fond, et Yetu se « perd » de plus en plus dans les souvenances, jusqu’à y rester prisonnière, sans la moindre notion du temps. Cette année, lors de la cérémonie où elle restitue temporairement ce passé aux siens avant de le reprendre sur ses frêles épaules, elle s’enfuit…
Lieu de réflexions nuancées sur la mémoire, sur l’identité, sur le genre, sur le poids de notre passé, sur l’Autre avec un grand A (la transposition à un peuple imaginaire permet d’y substituer n’importe quelle victime) mais aussi fable émancipatrice et histoire d’amour discrète, cette petite perle à aller chercher au fond des flots est une très belle leçon d’acceptation !
– Nikita –