“Patria”, T. Fejzula, Ankama

Retrouvez cette chronique sous forme vidéo :
Patria, c’est l’Espagne.
Ou plus précisément Euskadi, le pays basque.
Patria c’est un roman de Fernando Aramburu.
Mais aussi un prodigieux roman graphique de Toni Fejzula.
Patria, c’est le patriotisme,
mais surtout l’aveuglement nationaliste,
la voie sans issue de la violence.
Qui peut penser qu’une nation se construit sur la Terreur qu’imposent une poignée d’individus à toute une population?
Patria, c’est la Famille.
C’est compliqué la famille, c’est plus qu’une addition d’individus, la famille,
pas la formule magique de la solidarité.
Pourtant la famille, c’est l’Amour, la fidélité, la filiation, le frère, les sœurs.
Patria, c’est le voisin.
Celui qui est gentil avec les enfants,
celui avec qui on fait du vélo tous les dimanches,
celui avec qui on va jouer aux cartes en buvant un verre,
un vrai basque, celui qui parle euskera.
Mais le gentil voisin, c’est aussi le petit entrepreneur,
celui qui ne roule pas sur l’or mais qui emploie tout de même une dizaine d’ouvriers.
Patria, c’est donc le voisin qui refuse de payer une deuxième fois l’impôt révolutionnaire,
ou plutôt celui qui dit non.
Non au racket, non à la soumission.
C’est celui dont le nom est traîné dans la boue sur les murs du quartier,
le traître, l’espagnol, le fasciste.
Lui, le voisin basque comme tous les voisins…
Patria, c’est un assassinat.
Froid, anonyme, perpétré dans la rue de la victime, sous les yeux de sa femme.
Un exemple, une menace qui se concrétise:
le bras armé de la Terreur pour le bien de tous…
Patria, c’est le Fils.
Le fort, celui qui a mis sa propre vie entre les mains des grands libérateurs, des guerriers, des “vrais” hommes.
Celui qui aspire dans la spirale infernale de son aveugle engagement sa mère qui le soutient contre vents et marées,
son père, à qui il fait peur, son frère, différent, intelligent,
ses sœurs écartelées, désemparées, dans le déni ou la fuite.
Patria, c’est la Mère.
Les mères, celles qui sans douter une seconde resteront au côté de leurs fils, ces héros, qui permettent aux lâches de vivre planqués.
Celles qui pleurent un mari ou un enfant.
Patria, c’est la matrice, la religion, le destin d’un peuple, une culture.
Patria, c’est un mirage.
Un idéal impossible sans martyres.
Une tragédie grecque ou plutôt basque,en fait une guerre civile où il n’y a que des perdants.
Qui peut pardonner à ceux qui ont susurré la méfiance, instillé la haine, installé la peur du tous contre tous?
Qui peut réconcilier l’inconsolable ? La veuve, l’orphelin, l’estropié ?
Avec un récit polyphonique à la structure labyrinthique et au scénario à suspens, Toni Fejzula dessine et peint une fresque colorée, nerveuse, comme un artiste utilisant un couteau sur une toile ou la matière abonde, généreuse, pulpeuse.
Les influences sont nombreuses pour cet élève de l’école de Barcelone: européennes bien sûr mais américaines aussi.
On pense aux maîtres Dave Mc Kean et Frank Miller.
Mais aussi les maîtres sud-américains: Breccia et Munoz.
Patria, c’est l’œuvre d’un auteur à la fois catalan et serbe, bref, un Espagnol comme il se définit lui-même.
Qui mieux qu’un Yougoslave pour tisser la toile sans failles de la guerre civile et de ses conséquences sur les Hommes ?
Un chef d’œuvre.
– Frédéric –