“La contrée obscure”, David Vann, Gallmeister

1539. Les prouesses chevaleresques et la magie d’un des romans fondateurs de la littérature médiévale espagnole, « Amadis de Gaule » – un « croisement » entre « les Chevaliers de la Table Ronde » et « Game of Thrones » – sont convoquées par le conquistador Hernandez de Soto dans l’enfer tropical de la Floride comme si le charme et le souffle épique pouvaient illuminer les ténèbres et les guider lui et ses hommes sur cette terra incognita. David Vann, l’auteur de l’inoubliable « Sukkwan Island », oppose le récit autochtone à celui de l’envahisseur, comme Joseph Boyden avec son non moins inoubliable « Dans le Grand Cercle du Monde », par l’alternance systématique des chapitres entre les deux. Le récit instaurateur de la cosmogonie amérindienne, une « genèse cherokee », vs. l’abjection d’une expédition hasardeuse, calamiteuse et d’une innommable cupidité. Un contraste qui agit comme un révélateur réciproque.
C’est le mythe de « l’Enfant Sauvage » ou la sagesse de comprendre ce que l’on éprouve à se savoir mortel. Cervantes a écrit l’immense « Don Quichotte » pour railler le romantisme héroïque dont la noblesse espagnole et européenne étaient friandes, Vann écrit aujourd’hui « La Contrée Sauvage » pour rendre justice à ses ancêtres de l’incommensurable bêtise du fantasme de « l’Eldorado ».
Une lecture comme un sortilège, une transe comme la folie hallucinatoire d’ «Aguirre, la colère de Dieu » (chef d’œuvre du cinéma réalisé en 1972 par Werner Herzogh avec un Klaus Kinski absolument génial).
-Frédéric-